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José Tomàs
(Encre et fusain sur toile 140 x 100 cm - 140 x 200 cm / Aquarelles sur papier Arches 101 x 65 cm) - 2012














Incarner l'absence.
Dans la mesure où chercher à "représenter " la "tauromachie" (en tant qu'acte de toréer) est à mon sens une entreprise vouée à l'échec; du fait qu'une seule passe peut être contextuellement un chef d'oeuvre en substance et que regarder ce n'est pas prendre ou saisir, mais que c'est regarder à quel point les images nous échappent.
"Quand je pars aux arènes, je laisse mon corps à l'hôtel".
Par ces mots, comme si le corps n'était pas nécessairement omniprésent, voire encombrant dans la peur, José Tomás s'inscrit dans le sillage des fondateurs du torero moderne, Juan Belmonte sentençait dans la première moitié du siècle dernier que "pour bien toréer, il fallait oublier son corps", plus tard Luis Miguel Dominguin renchérissait, "nul ne peut rentrer dans l'arène s'il n'est considéré comme potentiellement mort".
Si "les choses de l'art commencent souvent à rebours des choses de la vie, sous l'empire de la déstruction et du nécessaire péril de l'absence", ce concept fondateur du toreo contemporain trouve écho dans les recherches de Jules Cotard sur la mélancolie, "ne pouvoir mourrir ou être déjà mort et voué à une éternelle survie, telle est l'idée fixe au coeur du délire des négations. Le patient n'a plus de corps soit parcequ'il se sent déjà mort, soit parcequ'il aspire à l'immortalité".
"Le mélancolique est celui qui contient sa pensée dans les limites du mesurable et du localifiable, tout ce qu'il conçoit est soumis à l'espace et au temps et finit par s'y localiser comme un point. Cet espace est défini par des limites pratiquement inamovibles au delà desquelles tout semble incontrôlable et inacessible au mélancolique. Il n'est rien dont le mélancolique se semble moins capable que de prendre des risques, de sauter le pas tellement il est prisonnier de la finitude de son ordre". Il s'agit donc de confronter l'image en tant que lisibilité du temps à une temporalité quantifiée, spatialisée, qui ne peut atteindre la temporalité existencielle.
Perturber la représentation du visible, la défigurer afin d'essayer de donner à voir le visuel.
En ce sens, mes travaux souvent issus de photographies tentent paradoxalement de revêtir une image préalablement décharnée, induire "l'essentiel" ressemblance d'une image vers une fonction de dissemblance qu'impose le mystère.
Le mirroir dans lequel Israël Galvan regarde le danseur, ceux de la salle ou José Tomás torée de salon sous l'oeil d'une autre image, celle de Manolete face au toro Ratón en 1944 dans les arènes de Madrid.
Histoires de fantômes, de solitudes et de silences générateurs d'iconisation.
José Tomás refuse la télévision, elle nie le rituel et diffuse un spectacle, le met en image, là où l'enjeu est précisement l'inimaginable, il torée très peu, chacune de ses corridas tient de l'apparition. Rarement un torero n'a si bien maîtrisé son image, il est "l'Idolum", littéralement "image fantôme", qui croît que le visible épuise le réel et ne débouche de fait que sur l'irréalité. Il se situe dans cette ambivalence, consistant à ne pas tomber dans le faussaire métaphysique opposé au visuel d'incarnation mais d'en traduire la corporéité en en désincarnant la présence.
Mon travail à la manière d'un essayiste, cherche à comprendre et à remonter ces phénomènes, interroger cette surface sensible et quelque part fêler sa propre couverture carnée, en livrer l'intériorité.
Sylvain Fraysse, (Septembre 2012).
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