



Le plus compliqué toute l'année, c'est le crépuscule en collaboration avec Sarah Vialle
Installation, fleurs séchés, vases et peinture phosphorescente, dimensions variables - 2016




Le plus compliqué toute l’année, c’est le crépuscule est une installation composée d’une série de bouquets de fleurs conservés par les artistes, recouverts pour l’occasion d’une peinture phosphorescente et disposés dans la succession des salles qui s’ouvrent dans la roche. Les visiteurs y pénètrent par petits groupes munis de torches électriques et découvrent peu à peu les bouquets qui composent avec les parois rocheuses.
Invitation leur est faite, à chaque bouquet, d’éteindre leur torche pour observer sa luminescence, mais aussi la mémoire de leurs passages au travers les bouquets précédents qui émanent encore.
Chaque composition conserve à la lumière ses couleurs naturelles et le visiteur de la grotte découvre à la lueur de sa torche les ensembles colorés des bouquets et leurs vases. La proposition d’éteindre la torche opère un effacement : le passage abrupt du corps à l’image.
Jusqu’alors guides d’un parcours, les fleurs muent en un écho spectral qui absorbe toute prétention à l’orientation, avec elles mue le regard.
Dans ce qu’il sauve d’une réalité sans lui oubliée et dans sa capacité à révéler l’existence propre des formes, le projet fait songer au genre de la nature morte et compose un parcours de fragiles vanités : peuplée de ces objets inanimés, qui ont vécu -notamment de lumière, la grotte nous enferme dans un monde de choses qui, pour un instant, la génère. Still life, l’expression anglaise de nature morte, précise sans doute mieux la conversion rendue possible de l’instant en une permanence et les complexes relations temporelles que génère la simple survivance d’une lumière dans l’obscurité.
Phosphorescents, les bouquets de Sarah Vialle et Sylvain Fraysse émettent une lumière dite froide, et convoquent la luminescence de l’image poético-littéraire des Lucioles chère à Pier Paolo Pasolini : une lumière qui par opposition aux pollutions lumineuses moderne et contemporaine révèle.
Pour artificielle qu’elle puisse paraître de prime abord, la phosphorescence nécessite une excitation électrique régulière : c’est l’éclairage de la lampe d’un visiteur qui «charge» le bouquet pour le spectateur suivant.
Si la luciole n’a besoin que du noir, pour émettre les bouquets de Sarah et Sylvain exigent des regards. Et comme le palimpseste de grafittis de toutes époques qui s’offrent aux faisceaux des lampes sur les parois de la grotte, l’écriture des bouquets se transmet très concrètement d’un regardeur à l’autre.
Il faut rappeler ici ce que désigne premièrement la métaphore de la disparition des lucioles chez Pasolini : le rien, le vide derrière les masques du pouvoir (même pas un tas d’os ou de cendres) : Le néant politique.
À Nabrigas, pour une journée, une petite communauté de visiteurs : berger, archéologue, spéléologue, touriste, enfant... partage l’expérience d’une installation, y relaie ses regards. Le geste commun de Sarah Vialle et Sylvain Fraysse, loin de ne constituer qu’une élégie subjective close sur elle-même, parvient à désigner l’espace de la grotte comme un espace poétique de relations : un lieu ouvert.
David Suet.
(crédit photo : David Suet)